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Léo Strauss sur Cohen et Maimonide: le retour au Guide des égarés comme critique des lumières modernes.

Introduction

Dans ce travail sur Strauss et Maimonide (sur le Strauss qui écrit sur Maimonide), nous défendrons la thèse selon laquelle la méthode straussienne de pratique d’Histoire de la philosophie a été élaborée à partir d’un problème philosophique et sans doute personnel fort que ni la science allemande du judaïsme, ni l’appropriation du problème religieux par la conscience, intériorisation qui la vide de que tout contenu heuristique, n’ont résolu de façon satisfaisante pour Strauss, le poussant à remettre en question les paradigmes progressistes des Lumières, ou plutôt leur caricature (« nous vomissons Voltaire, écrit Strauss ») ;
C’est donc à partir d’un problème de conscience propre que Strauss éprouve la nécessité de revenir aux Lumières prémodernes pour rejouer la querelle déclarée trop tôt close :

Comment penser l’articulation entre philosophie et judaïsme, entre raison et révélation, après l’attaque du Traité théologico-politique de Spinoza ? Quel retour faut-il opérer pour démontrer la pure homonymie de la Raison des Lumières modernes et de la Raison médiévale ? Et si la victoire autoproclamée des Lumières sur la religion comme prétention à la vérité n’était due qu’à nos préjugés ? Faudrait-il rejouer la Querelle des Anciens et des Modernes ?
Grâce à Cohen, qui « nous fait accéder, dans l’horizon des Lumières, à Maimonide comme Aüflkaurer », Strauss accède à Maimonide, « classique du rationalisme », philosophe (au sens des falsafa arabes, opposés aux mutakalimun, adeptes de la théologie rationnelle) du XIIème siècle, auteur du Dalalat al-Hayrin, le Guide des égarés , œuvre magistrale qui se propose de délester la religion juive de tout ce qui en elle relève de la superstition. Mais, pour reprendre le mot de Benny Levy sur Sartre, Strauss « quitte Cohen grâce à Cohen », et élabore, pour tenter une percée du cercle herméneutique qui enferme Maimonide dans une philosophie morale, une méthode strictement historiciste dans un premier temps : étude rigoureuse du contexte historique, des conditions d’écriture, de pensée de l’auteur , puis conversion de l’historien en philosophe qui nous fait accéder à l’horizon de pensée de Maimonide lui-même ( et par son biais à tout un pan de la philosophie médiévale) : la question théologico-politique.

La méthode straussienne esquisse dans ces articles un horizon de recherche et possède une valeur explicitement programmatique et qui résout en quelque sorte l’antinomie méthode historiciste, méthode herméneutique ; En ce sens, il constitue un horizon qui n’ordonne pas une direction mais fait le chemin de pensée avec le lecteur sur des exemples précis.

Développement

Dès les premières phrases de son article « Comment commencer à étudier la philosophie médiévale ? », Strauss se pose en porte à faux d’une pratique presque spontanée et immédiate de l’histoire de la philosophie, qui apprend plus sur le présent que sur le philosophe étudié, comme si le passé n’était qu’un miroir pour se regarder et se jauger.
Strauss traque derrière les analyses d’historiens de la philosophie les mots qui fâchent : Dès qu’un historien de la pensée parle de la contribution d’un auteur, de ses anticipations sur la science contemporaine, il se retrouve, sans le savoir, en train d’interpréter l’auteur dans des catégories modernes, « dans les termes de la pensée d’aujourd’hui » ; cela suppose à la fois que l’Esprit humain est en marche, en progrès historique constant vers la vérité et à la fois l’indépassabilité des catégories contemporaines, comme si ce qui était valable pour notre passé ( l’histoire comme suite arithmétique de raison positive)ne le serait soudain plus sitôt que nous serions le passé (impossibilité de se penser dans l’esprit de l’autre du futur).

Pourtant, cette contradiction n’est qu’apparente : le progressiste soutient la proposition qui veut que le présent est supérieur au passé en vertu du progrès ad quem, mais étant dans le présent, cet hic et nunc toujours vrai chaque fois qu’il est prononcé, il se retrouve être l’aune suprême qui évalue le passé, sans se rendre compte que son dédain à peine masqué envers ces philosophes du passé qui ont cru écrire la vérité, l’œuvre ultime qui apporterait la vérité à l’humanité, ne l’empêche pas de prétendre lui au Vrai.

A côté de ce progressisme que l’on peut dire « naïf », Strauss esquisse un autre progressisme plus intéressant pour lui car plus fécond, celui dont le paradigme est fourni par la lecture qu’Hermann Cohen donne de Maimonide, à partir de ses catégories kantiennes et de son monothéisme éthique. Si ces deux progressismes s’appuient sur les mêmes présupposés (le passé comme propédeutique au présent), celui de Cohen participe d’un processus créatif de « pensée juive » comprise comme pensée vivante. Ainsi, dans son Essai d’Introduction à « La Religion de la Raison tirée des sources du judaïsme », Strauss explicite sa notion d’ « interprétation idéalisante » :

« Cohen suit l’articulation intrinsèque du judaïsme qui faisait autorité pour lui en tant que juif libéral qui abhorrait le mysticisme. Il interprète la pensée juive en l’ « idéalisant », ou en la « spiritualisant », c'est-à-dire en la comprenant à partir de ses possibilités les plus hautes. Ce faisant, il prétend non seulement suivre la bonne règle pour interpréter n’importe quel texte digne d’intérêt mais encore continuer le processus qui s’est poursuivi dans le judaïsme avec comme point de départ la Bible elle-même. »
Si Cohen peut interpréter Maimonide et la Religion de la Raison, à l’aune des catégories kantiennes, c’est seulement parce qu’il s’inscrit ainsi dans le processus du judaïsme, et n’y est extérieur à aucun moment. Pour le dire autrement, son progressisme n’est que le corrélat de l’impossibilité de son historicisme. En effet, il y a une connivence entre le principe de l’allégorie qui permet à Maimonide de substituer au sens extérieur et inauthentique un sens véritable et caché, ésotérique, et l’interprétation idéalisante de Cohen qui voit dans la morale kantienne l’accomplissement ou la vérité de la morale des prophètes et de la Bible, le véritable sens caché.

Evidemment, le terme clé est ici celui de « source » : pour Cohen, la tradition est une source et sa richesse ne peut nous apparaître qu’ultérieurement. Le judaïsme est source vive de la religion de la raison, il contient dès son origine la possibilité de son évolution et de l’explicitation de ce qui s’y trouve déjà en potentialité, (ou plutôt de ce qu’on postule a priori comme s’y trouvant déjà et que le cadre interprétatif permet toujours de retrouver selon l’idée de la méthode herméneutique de Gadamer qui pose qu’ une œuvre ne peut être expliquée que selon notre propre horizon d'attente):

« Il (le judaïsme) a eu besoin de l’aide de la philosophie platonicienne et surtout de la philosophie kantienne pour se libérer de certaines incohérences […]. Mais cette aide a simplement permis au judaïsme de développer pleinement ce qu’il était dès le début et ce qu’il fut fondamentalement en tous temps »

L’ « interprétation idéalisante » de Cohen est par ailleurs tout à fait conforme au propos de Kant qui affirme qu’il est possible de comprendre un auteur mieux qu’il ne s’est compris lui-même, c'est-à-dire au fond d’être capable avec les nouveaux outils à penser ( les concepts, qui permettent de saisir les choses, ce qu’indique le sens du Begriff allemand) d’expliciter ses intuitions, de développer ce que l’auteur a mis dans son système sans le savoir ou sans le conscientiser ( sans avoir les moyens de le penser) ou en le pensant mais sans pouvoir l’exprimer (comme c’est le cas des prophètes de la Bible et de leur langage imagé, en vertu du principe élitiste qui veut que tout le peuple ne soit pas apte à recevoir le message dans sa forme épurée et que certaines contraintes historiques ou religieuses poussent certains penseurs à travestir consciemment leur pensée. De la sorte, Maimonide, et à sa suite Cohen, disculpent la Bible et les prophètes de l’accusation d’anthropomorphisme inconscient qui les relèguerait au stade de pensée mythique)

Quand Strauss précise que pour Rosenzweig, La religion de la raison tirée des sources du judaïsme est infiniment supérieure au Guide des Egarés, il rappelle par là que Rosenzweig a sans doute vu en Hermann Cohen l’antidote à l’historicisme de la science du judaïsme. L’auteur de l’Etoile de la Rédemption n’était en effet pas un farouche partisan de l’étude des sources et se refusait à ne faire que l’archéologie du judaïsme, qui ne valait pas, à ses yeux, un cimetière peuplé de vestiges.
Tout comme Ismar Elbogen, l’auteur d’une monumentale Histoire de la liturgie juive, Rosenzweig pensait que l’époque de Zunz et Steinschneder était révolue. Or, Cohen, en sa qualité de philosophe redonnait vie en quelque sorte à la pensée juive en continuant le projet des penseurs du Moyen-âge : Si Maimonide a tenté une réconciliation d’Aristote et de la Bible (posée et revendiquée comme explicitation de l’équivalence des deux), lui a tenté une réconciliation de Kant et de la Bible, de la morale et de la théorie des attributs négatifs de Dieu de Maimonide.

Or ,Cohen, en interprétant la doctrine maimonidienne des attributs négatifs de Dieu comme une négation de la métaphysique qui esquisse un programme moral d’action pour l’homme, ne peut pas voir que le concept central et total de la philosophie juive et arabe médiévale était celui de Loi, non comme Moralité, mais comme totalité de la vie spirituelle, sociale et politique. Si le seul projet honnête d’histoire de la philosophie reste donc pour Strauss, le projet historiciste, c’est parce que celui de Cohen, tributaire de l’idée d’autonomie humaine, manque la spécificité des Lumières médiévales et leur rapport à la révélation: « Il parle au nom d’un rationalisme qui n’a rien à voir avec celui des Lumières médiévales ni de Platon ».

« Notre compréhension de la philosophie médiévale doit être historique », et cette compréhension historique suppose qu’on comprenne un auteur ancien exactement comme il s’est compris lui-même ». Ni mieux, ni différemment, ni à partir de son texte. Tout simplement comme il s’est compris lui-même.

Ici un parallèle avec la critique littéraire nous semble éclairant : Dans son Contre Sainte Beuve, Proust fustige la quête de la vérité de l’auteur – qu’il juge absurde et empêcheuse de lire en rond – la recherche effrénée entre les lignes de son intention qui permettrait de comprendre la vérité de l’œuvre. Une fois écrit, le texte se suffit à lui-même et sa vérité ne se cache nulle part ailleurs que dans ses mots. Voila la thèse symétriquement inverse à celle de Strauss. Oui, pour Strauss, la mise en contexte de l’écriture, l’étude des conditions historiques et biographiques de l’auteur sont les conditions sine qua non à la compréhension du texte, « car l’infinie variété des manières de comprendre un texte ne supprime pas le fait que l’auteur du texte, en l’écrivant, ne le comprenait que d’une seule manière ». C’est d’ailleurs tout l’enjeu du travail de Strauss sur l’ésotérisme .

La méthode même de Maimonide dans le Guide, fournit, à qui sait lire Maimonide, la façon dont il s’est compris lui-même et le programme de Strauss (Cohen et Maimonide) :
« Quand un passage de la Bible contredit le jugement scientifique, on suppose qu’au fondement du sens du mot du passage contredisant le jugement scientifique, au sens extérieur, il y a un sens intérieur (les arabes diraient du shahid au Raîb, du manifeste au caché ndlr) qui est en accord avec le jugement scientifique. Le sens extérieur est une exposition imagée de ce qu’on a vraiment voulu dire […] L’interprétation allégorique veut comprendre l’auteur comme il se comprenait lui-même ».

Maimonide fournit donc lui-même le but et la méthode pour y parvenir d’interprétation des Textes (religieux), et par conséquent des textes (philosophiques) ; Pas plus que les auteurs de la Bible et les docteurs du Talmud, Maimonide ne peut exposer sa vraie pensée : la vérité philosophique est obligatoire pour l’élite et interdite pour le peuple, qui doit se contenter des images et des histoires anthropomorphiques (ce sont là les conclusions du Traité Décisif d’Averroès, examen juridique qui fait paraître la Philosophie au tribunal de la Loi, du Fikh (halakha pour les juifs).

Le travail d’interprétation allégorique épurant la Bible de ses scories doit être réitéré sur sa propre œuvre ; Ainsi, seuls les initiés auront accès à la véritable pensée de Maimonide ; les autres, censeurs en puissance, et littéralistes, n’y trouveront rien qui puisse choquer leur foi. En ce sens, Scholem n’a pas tort lorsqu’il écrit à propos des philosophes juifs médiévaux : « Leurs allégories, trop souvent, ne sont simplement que des critiques voilées. »

Cependant, la menace du relativisme constitue le problème insurmontable, la crise de l’historicisme et Strauss a pleinement conscience que cette science historique de la philosophie là passe par une relativisation, une mise en contexte du philosophe dans son temps qui dénie à sa prétention à la vérité d’autre statut que celui de prétention. « Il, (l’historiciste) sait a priori que la prétention de Maimonide d’enseigner la vérité, la vérité valable de tout temps, est sans fondement ». Par conséquent, « il répète tout simplement, même si c’est sur un mode plus raffiné le péché dont il accuse si sévèrement le progressiste. » ;

Selon cette façon de penser, ce n’est pas l’esprit qui façonne ses valeurs et qui est à l’origine de l’histoire, c’est à l’inverse l’histoire, érigée en instance autonome, qui détermine les valeurs de chaque époque. Chaque philosophie, chaque vérité, est dès lors, relative au contexte historique dans lequel elle s’est exprimée et auquel sa validité est strictement limitée.
C’est ce qu’entend Strauss lorsque, après avoir montré les limites du progressisme, il affirme que pour l’historiciste :

« Chaque philosophie n’est essentiellement que l’expression de l’esprit de son temps. Maimonide exprimait par exemple l’esprit de son temps aussi parfaitement que le fit, en son temps, Hermann Cohen. » .

La définition de l’historicisme convoquée ici par Strauss pourrait être celle formulée par Raymond Aron dans La philosophie, critique de l’histoire, Paris. Vrin, 1950. : « La doctrine qui proclame la relativité des valeurs et des philosophies aussi bien que de la connaissance historique. » C’est à cette forme d’historicisme que Léo Strauss s’attaque, de façon plus générale que dans l’article étudié « Comment commencer à étudier la philosophie médiévale », dans Droit naturel et histoire Paris, Flammarion 1986 :

Strauss évoque l’idée que la pensée allemande, mue par le “ sens historique ”, se serait acheminée vers un relativisme sans réserves (introduction, p.14). “ En récusant la signification, sinon l’existence de normes universelles, l’école historique détruisait les seules bases solides de tout effort sérieux pour transcender l’actualité (…). L’historicisme apparut alors comme une forme particulière du positivisme, c’est-à-dire de la philosophie pour laquelle théologie et métaphysique ont été supplantées une fois pour toutes par la science positive (…). Mais la faillite éclatante des ambitions pratiques de l’historicisme, qui prétendait donner aux hommes un guide meilleur et plus solide que la pensée préhistoriciste du passé, ne ruina pas le prestige des prétendus aperçus théoriques qui lui étaient dus. L’état d’esprit créé par l’historicisme et son échec final furent interprétés comme la première expérience réelle de la situation véritable de l’homme en tant que tel – situation qu’auparavant il s’était cachée à lui-même en croyant à des principes universels et invariables” (pp. 26-29).

Car au fond, l’historiciste et le progressiste sont renvoyés dos à dos par un incessant mouvement de balancier : tous deux se retrouvent face à la philosophie médiévale, mus par intérêt tout scientifique pour une pensée que l’on aborde d’emblée comme fausse. Intéressante, ayant une cohérence interne, certes. Mais fausse. « Datée », dit Strauss.
Derrière ce manifeste méthodologique, on sent poindre le refus obstiné que Strauss a du mot célèbre de Moritz Steinschneider selon lequel la science du judaïsme n’aurait qu’un seul but : « assurer un enterrement décent au judaïsme », tout en réfutant l’opinion d’un Rozensweig sur le sujet. En bref, Strauss récuse comme mal posée l’alternative du « faire vivre en nous la pensée médiévale », (qui suppose son évaluation à l’aune de nos critères, et donc d’aller droit devant l’anachronisme) ou bien « l’étudier comme luminaire d’un lointain passé et d’une autorité défunte ».

Cette extériorité affichée de la science historique, ce surplomb envers une pensée vivante que l’on rend objet, et que l’on va ranger dans un beau musée – cimetière doré s’il en est -, invite Strauss à modifier le paradigme de l’historien de la philosophie : il faut aborder la philosophie médiévale et Maimonide, en « envisageant la possibilité qu’il soit tout simplement vrai », en renonçant à une compréhension condescendante d’une pensée pour qui religion et raison sont indissociablement liées par une identité cachée certes, mais profonde(« comme dans l’expression populaire du « Comme je te comprends » qui en fait ne comprends rien) pour entamer un voyage humain, une dépossession de soi et de renaissance dans un autre.

Autre homme, autre temps, autre lieu. La solution à l’aporie est donc de mourir à notre temps et revivre en Maimonide, condition à un retour futur à notre temps et à la résolution du problème qui a présidé à cette quête. Autrement dit, il faut oublier le problème tel qu’il se pose au départ pour pouvoir le résoudre. Le garder en tête dans les termes mêmes de sa brulante actualité enferme l’esprit dans ses catégories et ne permet qu’une fausse réponse, c'est-à-dire une projection des termes mêmes de la question.

Strauss, dans de très belles lignes (p.287), remarquablement écrites et d’où affleure le gout de la profondeur, des couches de gravats à creuser, fait profession de philosophe, comme d’autres font profession de foi :
« L’historien de la philosophie doit donc […] se convertir à la philosophie. Il doit atteindre la liberté d’esprit la plus parfaite possible pour un être humain. ».

Cette liberté la plus parfaite est celle de l’homme qui se déprend de tous ses préjugés, ses cadres de pensée, de l’homme qui ne sait pas ce qu’il cherche. Strauss permet, par cette belle déclaration, d’éviter le cercle vicieux épistémologique de la fausse recherche qui a beaucoup à voir avec la prophétie auto-réalisatrice faisant advenir dans les choses ce qu’elle dit y être déjà :

« En s’engageant dans l’étude de la philosophie du passé, il doit savoir qu’il s’embarque pour un voyage dont le but lui est totalement caché : il y a peu de chances qu’il revienne sur les rives de son époque tel qu’il était en les quittant ». Le dénuement et le dénudement de ses propres idées invitent à la seule réincarnation, au seul Gilgul Hanefesh à laquelle peut prétendre le vrai philosophe, le philosophe sans « métier », sans reflexes acquis.

Conclusion

En fait, une unité profonde traverse ces différentes analyses de Strauss : s’il faut connaitre les conditions de vie et de pensée du philosophe, ce n’est pas pour dissoudre sa pensée dans une explication objectivante, mais au contraire pour pouvoir devenir ce philosophe. On le voit, poussée dans ses retranchements, le « comprendre le penseur exactement comme il s’est compris lui-même » ne peut passer que par un devenir le philosophe étudié, revivre son expérience de vie car elle reste valable et valide pour nous aujourd’hui.
Bien qu’il soit plus ou moins évident qu’il existe de très nombreuses raisons objectives au retour de Strauss à la Raison médiévale juive et arabe, sa pensée du problème théologico-politique, de la Loi, il n’en demeure pas moins que, partant du paradigme herméneutique comme propédeutique ( un problème actuel impossible à résoudre dans les paradigmes contemporains, quête d’un ailleurs qui reposerait autrement les termes mêmes du problèmes), il tente (et selon nous réussit) à s’en déprendre en rendant son esprit vierge de toute question. Venir au Moyen- âge sans cadre interprétatif qui lui serait étranger, venir au Moyen-âge parce que l’on vit une crise de ces cadres là et s’immerger dans les conditions physiques du questionnement des anciens: voilà un projet dont toute la difficulté s’éprouve dans toute tentative d’histoire de la philosophie : en plus d’ouvrir à un travail de l’esprit, ce projet nous ouvre à un travail du corps et de ses réactions immédiates face à une pensée d’abord étrangère.

Malgré la pertinence du scepticisme que l’on pourrait avoir concernant la possibilité même de cette sortie de soi pour s’immerger dans un monde afin de le comprendre, il n’en reste pas moins que Strauss, via son étude sur Hermann Cohen, confère une fécondité au préjugé progressiste qui ressemble fort à ce que Gadamer dit du cercle herméneutique et de sa nécessité féconde : tout comme l’herméneute, Strauss doit passer par Cohen pour accéder à Maimonide ; le droit chemin (la méthode) est jalonné de détours et d’arrêts. Peut être le désir de » la plus grande liberté de philosopher » n’est il qu’un vœu pieux. Il nous semble toutefois que nous devons le faire.

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