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Hume sur les miracles: commentaire d’un extrait de la section X de l’Enquête sur l’entendement humain.

Introduction

Bien loin de la critique « traditionnelle » des miracles, fondée le plus souvent sur leur impossibilité physique et la violation manifeste des lois de la nature qu’ils constituent comme chez Spinoza, Hume, dans la section X de l’ Inquiry concerning Human Understanding opère un retournement méthodologique qui s’avère dirimant pour la question même du miracle en la réduisant à la question de la crédibilité des témoignages et par là même à la subjectivité.

La physique de Hume en effet, ménage théoriquement et selon toute apparence une place à la possibilité physique des miracles : Hume a dit et répété qu’il n’y a aucune nécessité immanente à la nature et à ses lois, et que si lois il y a, ce sont celles de notre esprit plutôt que celles de la nature. La vérité des faits n’a rien à voir avec celle de la relation d’idées et le contraire d’un fait quelconque est toujours possible. Les lois de la nature ne faisant que traduire l’expérience sous forme de lois, leur violation n’est donc nullement contraire à la raison, ni à un supposé ordre des choses, mais seulement à nos habitudes.

Pourtant, dans le texte étudié, extrait de la première partie de la section X, (« A wise man »à « to the force of its antagonist » et « but in order » à la fin de la première partie), nous verrons que par ce « cadeau empoisonné » aux défenseurs des miracles religieux, Hume pulvérise en fait la notion même de miracle en lui ôtant tout son sens. Si, dans la nature, tout est possible, ce qui est qualifié de « miracle » n’est en fait qu’un fait extraordinaire, qui choque nos habitudes, mais qui n’a rien à voir avec un bouleversement divin des lois de la nature ou une volonté de Dieu d’intervenir dans le monde.

Une fois, réduit à une possibilité naturelle et pensable, le miracle doit donc paraitre, pour obtenir l’assentiment ou le rejet du jugement (qui conditionne la croyance ou la non-croyance, que nous préférons à l’incroyance), au tribunal probabiliste préalable à l’inclinaison de l’entendement.

Toute la théorie de la connaissance, la physique et la psychologie de Hume se trouvent en fait convoqués dans ce texte d’une incroyable puissance, qui mène inexorablement vers son implacable conclusion (preuve, si l’on s’en tient au cadre d’analyse de Hume) ceux qui étaient trop heureux de la concession de Hume à la possibilité physique des miracles : le sens même du terme miracle n’a plus de sens, et le miracle sera toujours plus miraculeux (donc moins croyable)que la fausseté des témoignages en sa faveur.

Ainsi, comment Hume, en rappelant les principes de sa théorie de la connaissance et son principe d’immanence, puis en les appliquant à un exemple particulier (« to apply these
principles to a particular instance »), celui du témoignage d’un homme, « testimony of men », montre-t-il qu’un miracle n’est jamais croyable ? En analysant le témoignage comme conjonction problématique d’une parole et d’un fait, Hume ne nous propose-t-il pas le noeud même du problème : à qui faire confiance ? Qui, de la crédibilité du témoin ou la valeur heuristique de ce dont il témoigne, pèse le plus lourd sur la balance lors de notre raisonnement ?

« A wise man, proportions his belief to the evidence »

Cette proposition qui entame le texte étudié n’est pas applicable seulement aux témoignages concernant les miracles : c’est une proposition d’ordre général, nécessaire au système de Hume sitôt posé que nous ne pouvons avoir de connaissance que des apparences sensibles et non des « objets en soi » qui sont une construction des philosophes. Par conséquent, même pour un évènement ou fait que notre expérience passée rend prédictif avec le dernier degré d’assurance, notre entendement doit ajuster sa croyance à la suite d’un raisonnement proportionnel. L’homme sage recourt donc à une médiation rationnelle.

Notons d’abord qu’il s’agit d’un raisonnement, c’est-à-dire d’une appréciation formelle, d’une argumentation de l’entendement au sujet de l’assentiment qu’il faut accorder aux témoignages, en tant que contenus e et en tant qu’actions provenant d’hommes et inséparables de la personne des témoins. C’est un raisonnement d’une espèce courante utile et nécessaire à la vie, un calcul qui se fonde dans l’expérience, non pas un raisonnement vide de nature métaphysique mais bien un raisonnement naturel, qu’il s’agit de rendre explicite:

« In such conclusions as are founded on an infallible experience, he expects the event with the last degree of assurance, and regards his past experience as a full proof of the future existence of that event”.

Ici, l’expérience infaillible dont il est question est l’expérience qui jamais n’a eu de démenti. Par exemple, mon expérience du passé m’a montré, encore une fois sans expérience contraire, que le soleil se lève tous les matins. La force prédictive de cette proposition est du plus haut degré et me permet donc de croire avec assurance (mais non avec certitude, puisque tout est possible et pensable dans la nature et que le lever du Soleil est une loi bien formée de notre esprit à partir des siècles et des millénaires ou le soleil s’est levé tous les jours) que demain le soleil se lèvera également. Voilà la seule preuve à laquelle nous pouvons prétendre, une preuve qui n’a rien de définitif, bien qu’elle donne le droit légitime d’être quasiment certain de ce qui se passera, et d’être surpris si ca n’est pas le cas.

Pour les autres cas, l’entendement doit raisonner de façon arithmétique, et opérer une révision de ses croyances si le raisonnement probabiliste donne un résultat qui leur est opposé:

« All probability,then,supposes an opposition of experiments and observations, where the one side is found to overbalance the other, and to produce a degree of evidence, proportioned to the superiority.”
Mettre en balance les expériences passées et les observations, et incliner son entendement à la croyance de tel fait si la probabilité est supérieure à 0.5 montre donc la validité du raisonnement inductif. Un raisonnement peu concluant, « a hundred instances or experiments on one side, and fifty on another afford a doubtful expectation of any event », ne permet seulement qu’une attente dubitative, un raisonnement quasi conclusif, comme par exemple« a hundred uniform experiments, with only one that is contradictory, reasonably beget a pretty strong degree of evidence », font raisonnablement naître un degré d’assurance joliment fort.

Hume, s’attache ensuite à réduire le champ de la réflexion en appliquant ces principes à un cas particulier, le raisonnement courant que l’on fait concernant les témoignages humains, qui ne déroge nullement à la règle d’immanence ainsi énoncée :

« It being a general maxim, that no objects have any discoverable connexion together, and that all the inferences, which we can draw from one to another, are founded merely on our experience of their constant and regular conjunction”.

La petite precision suivante, “ it is evident that we ought not to make an exception to this maxim in favor of human testimony, whose connexion with any event seems, in itself, a little necessary as any other”, qui semble être anodine, est en fait ce qui désamorce toute crédiblité au témoignage d’un miracle: En effet, l’évidence tirée des attestations et du témoignage humain, comme toute autre evidence, est fondée sur l’expérience passé d’une certaine “conformity” qui s’est averée être constante ou variable,“constant or variable” entre un genre de récit “kind of report” et un genre d’objet “any particular kind of object”.

Les règles de la critique du témoignage sont immanentes: On ne confronte jamais les témoignages avec les faits (auxquels nous n’avons pas accès), on compare les témoignages entre eux, on en examine la réception et la transmission, on évalue la valeur du témoin : « A man delirious, or noted for falsehood and villainy, has no manner of authority with us ».

Fondée sur la vie, l’appréciation des témoignages est toujours variable, on y accorde plus ou moins de crédit selon les cas, on examine leur cohérence, leurs contradictions ou leurs concordances, leur caractère douteux ou non, leur style, les intérêts possibles des témoins à prendre en compte pour pondérer leurs témoignages. Mais surtout, en allant au coeur du témoignage, on examine le fait rapporté, comme contenu immanent du témoignage. Par exemple, si un homme me rapporte avoir vu un de ses semblables, jeune et en bonne santé « seemingly in good health… die on a sudden » mourir subitement, je peux le croire a priori,
parce que, pour rare qu’elle soit, ce type de mort a été fréquemment observée« has yet been frequently observed to happen » et ne constitue pas une violation des lois de la nature (qui sont celle de l’habitude et de l’esprit humain ne l’oublions pas). Nous voyons donc dans cet exemple, que la question ne se pose pas de savoir si le témoin a réellement vu une telle mort. Il suffit qu’il soit possible qu’il l’ait vu, que le contenu de son témoignage soit crédible, pour que je crois l’évènement probable ; C’est donc le fait même, non pas en tant qu’il appartient au cours du monde, mais en tant qu’en lui-même il est croyable ou non, qui joue ou non en faveur du témoignage. Le contenu est donc ce qu’il y a de plus important, c’est lui qui est habituel ou insolite, conforme ou non à l’expérience ; c’est lui qui, dans le cas du miracle conduit, a priori, à refuser la confiance au témoin.

Il en résulte que le miracle est par définition incroyable, et cela dispense de tout examen. Hume se contente de développer cette contradiction interne dans la seconde partie du texte :

« There must, therefore, be a uniform experience against every miraculous event, otherwise the event would not merit that appellation. And as a uniform experience amount to a proof, there is a direct and full proof, from the nature of the fact, against the existence of any miracle ».

Tout ici repose sur le concept humien de l’expérience. Or, précisément parce que la constitution de l’expérience est une constitution subjective, l’enquête immanente suffit. L’exigence de crédibilité apparait être un argument paradoxalement beaucoup plus puissant contre les miracles qu’une théorie physique qui en exclurait la possibilité, pour la raison que toute vérification est superflue à Hume. En un sens, les lois de la nature humaine, sont beaucoup plus nécessaires que celles de la nature : le miracle est une impossibilité psychologique car il faudrait alors annuler les lois mêmes du raisonnement probabiliste qui conclut avec le plus haut degré d’assurance à l’impossibilité du miracle. Hume fait une distinction importante pour notre réflexion : il distingue le merveilleux « marvellous », l’insolite, et le miraculeux.

En effet, pour bien comprendre la cohérence du propos de Hume ici, il convient de redéfinir le miracle : il ne suffit pas de dire qu’il est « a violation of the laws of nature », parce que le caractère relatif de notre expérience ne peut exclure l’insolite et le comprend au contraire. Nous pouvons croire, sous certaines conditions, un témoignage météorologique du pôle nord contredisant notre expérience commune, mais RIEN ne peut incliner notre esprit à croire qu’un homme a ressuscité, et ce pour un raison simple : le « véritable » miracle se caractérise pas une signification, une référence aux religions. En ce sens, les nombreux témoignages en faveur des miracles, qui ont à voir avec un des intérêts de personne ou de groupe, un hypothétique « complot des prêtres », une tendance humaine à la crédulité la plus parfaite, ne posent pas de problème épistémologique : il faut simplement examiner ce qui est le plus miraculeux à l’aune du raisonnement probabiliste: le miracle ou la fausseté du témoignage.

La réponse de Hume est sans appel, toujours selon le principe rationnel qui
pousse l’entendement à incliner face au plus probable et à rejeter le plus improbable, c’est-à-dire le plus miraculeux :
«
When anyone tells methat he saw a dead man restored to life, I immediately consider with myself, wether it be more probable, that this person sould deceive or be deceived, or that the fact,(…)should really have happened. (…) An according to the superiority, which I discover, I pronounce my decision, and always reject the greater miracle”.
Par consequent, ce témoin ne peut en aucun cas pretendre à commander ma croyance ou mon opinion”then can he pretend to command y belief or my opinion”.

Conclusion

Il est donc impossible de croire aux miracles. Comparez les probabilités, cherchez le plus incroyable : d’un côté l’évènement miraculeux, de l’autre des témoins, intéressés, menteurs ou crédules (les vieilles femmes auxquelles Jésus apparait par exemple). Examiné du point de vue de la croyance, le miracle en renverse les lois, le contenu du témoignage plaide contre le témoin. La puissance de l’argument de Hume est qu’il fait preuve si l’on admet que l’on ne peut sortit de l’immanence. L’invraisemblable est bel et bien l’impossible. Mais de façon discrète dans ce texte, Hume va plus loin en désamorçant la problématique même du miracle, à savoir la tentative de faire voir dans les miracles un signe volitif de Dieu, de faire travailler comme preuve des religions un fait qui peut aussi bien, voire plus naturellement être retourné contre elles. Les lois de la nature elles mêmes valent preuve contre les miracles et ceux qui en font usage alors que les miracles lui sont subordonnés : pas de miracle pour un religieux si celui-ci s’inscrit dans la nature. Pour un supporter des miracles, il faut que son entière possibilité soit mise entre les « mains » d’un dieu tout puissant et seul capable de renverser les lois de la nature qu’il a crées.
Accepter les miracles, qui fondent souvent une croyance religieuse (je crois que dieu a donné sa Loi au Sinaï parce que la Bible fait état du témoignage de six cent mille personnes, et je crois la Bible parce qu’elle vient de dieu ; c’est là le cercle dont se gausse Descartes dans sa lettre aux docteurs de l’Université), cela ne peut se faire qu’au prix du renoncement aux formes humaines de la croyance, qui président à tous nos actes cognitifs. On ne peut alors plus parler de croyance mais bien de foi « faith », qui est, selon le mot même de Hume, un miracle continu.

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